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  • et maintenant, la drôle

on prend les mêmes et on recommence, mes hommes, toujours en civil, moi en tenue pour faciliter une identification rapide en cas d’intervention. C’est toujours la même 403. Boulevard Garibaldi, limite 7e - 15e (les brassards de police n’étaient pas encore en usage).

Un jeune ne semble pas bien habile à la conduite de son cyclo. Peut-être l’a-t-il volé ? un contrôle s’impose. Je prends mon képi posé sur mes genoux pour le mettre sur la tête et je m’apprête à descendre de voiture pour l’interpellation. Instantanément il retrouve la maîtrise de son engin et prend la fuite. Il n’y a pas de doute, c’est un voleur. La poursuite, non seulement se justifie, mais elle s’impose. Passons sur les
méandres destinés à nous semer. Dans une petite rue du 15e finissant en cul de sac, il abandonne son cyclomoteur et court se réfugier dans un débit de boissons. Descendu de voiture, je cours vers le débit… je le tiens ! A mon entrée fracassante, il m’aperçoit, me saute au cou : «Monsieur l’agent, au secours, sauvez-moi !» effaré, je ne suis pas le seul à l’être. Les consommateurs regardent la scène qu’ils ne comprennent pas plus que moi, surtout qu’à l’entrée, non moins intempestive que la mienne, de mes deux civils, ses appels au secours s’intensifient.

Après un moment d’expectative, les explications arrivent. Le jeune homme s’était fait racolé par des “homos” qui, paraît-il, se réunissaient dans le secteur ! Pour lui, enfin, notre 403 était bien banalisée, il n’avait même pas remarqué l’homme au képi assis à côté du conducteur. En voilà un qui ne voulait pas se faire sodomiser. La comédie se termine avec la tournée générale du patron, un gros homme jovial secoué d’un fou rire communicatif.

Cette poursuite, involontairement provoquée par les homos du 15e aurait très bien pu se situer sur n’importe quel arrondissement de Paris. Ces messieurs se rassemblaient aux abords des pissotières installées un peu partout dans la capitale. sur le 7e et en partie sur le 15, le siège des “Nuits Fauves” se tenait (et peut-être aujourd’hui encore) dans les massifs arborisés des parcs et jardins de la Ville, situés sur le quai Branly (le bien nommé) en bordure de seine.

Les anciens du 7e m’en avaient informé à mon arrivée à la brigade “N”, racontant à ce sujet d’incroyables histoires. Devant mon scepticisme, ils me convainquirent à y faire une descente à l’heure qu’ils savaient être propice. Ils ne m’avaient pas menti. Notre incursion, volontairement bruyante, voire tonitruante, avait provoqué une débandade générale. A peine le car arrêté devant l’escalier d’accès aux jardins, on aurait dit la sortie des supporters d’un match de foot au Parc un jour de championnat du monde. Il en sortait de partout. Les massifs, piétinés, étaient aussi durs que le pavé parisien. Ils attestaient une fréquentation assidue de longue date. Des immondices de toutes sortes jonchaient le sol qu’on aurait cru bétonné. Comment les plantes, par ailleurs endommagées, pouvaient-elle vivre dans un endroit pareil ?

Qui étaient ces gens ? ou plutôt quelles professions exerçaient-ils en dehors de leurs occupations nocturnes. sujet tabou à l’époque. Pour être complet, leurs activités ne m’intéressaient absolument pas, dans la mesure où ils ne gênaient personne.

Tant que ces turpitudes se passaient de nuit, loin des habitations, à des heures où les mineurs dormaient dans leur famille, il n’y eut pas de problème. A cette époque, on n’avait pas besoin de couvre-feu pour faire rentrer les enfants à la maison. Mais, progressivement, le nombre de participants augmentant anormalement, les sauteries s’étalèrent dans le temps (je ne sais plus qui a dit : « Comment font-ils pour être si nombreux, alors qu’ils ne peuvent pas se reproduire ? »).

Les journées d’hiver étant plus courtes, la nuit tombait entre dix-sept heures trente et dix-huit heures, on les verra autour des pissotières à des heures où les mères de famille allaient chercher leurs enfants à la sortie des classes. Plus grave : des petits voyous de banlieue (déjà !) remontaient dans les quartiers chics pour racketter une clientèle disposée à payer pour éviter, soit les coups, soit le scandale. Les plaintes commencèrent à affluer, la Direction Générale envoya des ordres écrits. Et il fallut constituer des groupes spéciaux.

On en trouva de tous les milieux sociaux. Des professions auxquelles on ne s’attendait pas : avocats, prêtres, coiffeurs, militaires, un maçon même. Curieusement aucune personnalité médiatique, à part un préfet régional et un parent du futur roi du Cambodge (à l’époque en exil en France). Pourtant, il paraît qu’il y en avait. Auraient-elles été initiées ?

A saint-Germain raspail, pissoire réputée très performante, un couple y fut surpris une nuit, faisant un bruit semblable à une tôle martelée avec une telle violence qu’on aurait cru un atelier d’emboutissage. il s’agissait du choc produit par les coudes des deux compères se masturbant et qui frappaient la paroi métallique de l’édicule. A notre intervention, ils prirent la fuite, traversant le boulevard saint-Germain malgré la circulation encore très intense, provoquant freinages, coups de volant et avertisseurs sonores.

Il y a un dieu pour les homos, ils courent encore.

Chaque nuit, il y en avait une dizaine au poste central renvoyés à six heures trente, sans suite judiciaire pour la plupart, aucun délit n’étant vraiment constitué.«

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